Besoin d’oxygène – Le clip
!! CE COMMENTAIRE S’ADRESSE À CEUX QUI ONT DÉJÀ VISIONNÉ LE CLIP !!

 

........Ce clip ne montre pas seulement des images, mais aussi des mécanismes. J’ai voulu montrer que le racisme s’exprime à peu de choses prêt de la même manière quelles qu’en soient les communautés qui en sont victimes. Il y a par exemple, à travers les images d’invasion (invasion juive, invasion arabe, invasion jaune, invasion noire) la transmission de peur. Le paradoxe est que ce sont les groupes agressés, envahis, colonisés, qui sont eux-mêmes assujettis à ces affiches d’invasion.
........Dans ce clip, les images d’archive montrent que la victime de racisme, c'est-à-dire l’Autre, a le choix entre seulement deux rôles. Celui de faire peur et celui de divertir. Divertir malgré lui, sans son propre talent, on ne rie pas avec lui mais de lui. L’Autre ne peut pas être artiste car il n’est pas civilisé. Mais on peut se divertir avec comme on se diverti à voir des animaux. Les affiches et cartes postales du zoo humain nous le rappellent. Même dans son rôle de clown, l'Autre a cette particularité d’être encore plus crédible qu’un clown de métier, car il n’a pas besoin d’en avoir l’accoutrement, ce qui montre bien qu’il n’est pas question de déguisements quand il s’agit de l’Autre... mais bien de nature. De nature à être drôle. Ou bien de nature à faire peur (la peur, dans les images d’archive, ce sont entre autres les fantasmes d’invasions et les fantasmes de complots juifs et musulmans).
........Avec le recul on peut être choqué par ces vieilles images caricaturant des invasions. Mais de quand date la couverture de « L’Express » ? Il ne faut pas chercher longtemps aujourd’hui pour voir écrit dans un magasine « L’invasion de l’Islam en France » ou d’autres parallèles à ces vielles affiches. Ce que subit l’Islam aujourd’hui c’est ce qu’a subi le Judaïsme hier. Les parallèles culturels sont bien là pour le prouver. Les mêmes parallèles culturels, donc les mêmes mécanismes. Quelque soit l’Autre, juif, musulman, tant qu’il est perçu comme étant Autre, les mécanismes du racisme peuvent fonctionner.

........Je dis plus haut que dans ce clip, la victime de racisme a le choix entre seulement deux rôles, faire rire ou faire peur. Il s’agit maintenant de se demander si les choses ont évolué, en remplaçant l’Autre d’hier par l’Autre d’aujourd’hui, c’est-à-dire par les français qui ont une histoire familiale liée aux mouvements de population postcoloniaux.
........ Le divertissement (par le rire ou la peur) n’est-il pas la première voie d’intégration ? Les rappeurs (l’Autre) sont plus « vendeurs » quand ils font peur, ils ne chamboulent pas les idées reçues.
........Ces comiques et ces sportifs, eux, sont montrés comme les exemples à suivre. Ils sont perçus par notre société comme les modèles de réussite de leur communauté. Pourtant les voies sportives et artistiques sont des voies de précarité constante. Les attentes que la société peut avoir varient donc selon l’origine du citoyen.

........J’aimerai approfondir la perception de l’Art de l’Autre à notre époque. Ces rappeurs ou ces comiques sont-ils perçus comme des artistes ? Les rappeurs n’ont-ils pas le « rythme dans la peau » comme l’ont eu autrefois les jazzmen ou autres musiciens ? « Ce qu'ils font n’est pas de l’Art, ça fait parti de leur nature » diront les racistes les plus virulents. Mais malheureusement il n’est pas besoin de retourner au début du siècle ou d’écouter les propos violents d’individus mis en marge pour entendre de telles âneries, encore aujourd’hui. Il n’y a pas si longtemps Serges Gainsbourg chantonnait « nous les blacks » sur un air de reggae fraîchement importé. Plutôt que de voir un mérite artistique, il ramène cela à la même nature qui fait que le coq chante ou que la vache meugle. Je ne pense pas que Serges Gainsbourg avait de mauvaises intentions, je pense qu’il était tout simplement trop bien intégré à la culture raciste de son temps.
........« La publicité n'est que le reflet d'une époque, les slogans doivent évoluer avec le temps » affirme Thierry Hénault, président de Nutrimaine (Banania) (1). Mais notre époque est héritière d’un passé colonial qui ne s’en ira pas avec le temps, sans laisser la marque de ses repères culturels et de ses préjugés. On ne s’en débarrasse pas en tournant la page, mais en déconstruisant les fausses idées et les évidences assurées par des décennies.
........Chez les comiques Autres d’aujourd’hui, ceux qui plaisent sont ceux qui mettent en scène leur situation de minorité. Sont-ils perçus comme comiques grâce à un talent artistique ou bien est-ce seulement leur situation qui est comique ? Rappelons que les animaux dans les zoos nous divertissent malgré eux. Et que le zoo humain n’est pas si vieux. Les acteurs maghrébins jouent rarement des rôles autres que les rôles écrits pour des maghrébins. C’est comme si ces rôles pouvaient être joués par n’importe qui tant qu’il est maghrébin. L’exemple d’un rôle interchangeable serait plus éclatant avec un bébé, une fourmi ou un lapin. Qui ne peuvent être des artistes donc. Une des images qui habille cet exemple, sur les paroles « un noir, un maghrébin et puis un gun » est extraite du film La Haine. Je me risque à dire que seul l’un des trois acteurs de ce film est perçu comme un artiste. Remarquons que sur les trois protagonistes, deux d’entre eux n’ont pas eu de rôles plus larges que ceux du « Noir » et de l’ « Arabe » depuis les rares fois où ils sont réapparus sur le devant de la scène française, contrairement à Vincent Cassel.

........Les parallèles sont nombreux entre le racisme choquant d’hier et l’air du temps banal d’aujourd’hui. Seul le recul nous manque. J’ai voulu par ce clip montrer que le racisme est construit, que ce n’est pas quelque chose de naturel mais bien plutôt un travail de fond au sein même de la culture que nous respirons, nous pouvons tous en être altérnativement les bourreaux et victimes. Ce qui est sûr c’est que, à notre époque, dans cette relation d’amour entre politique et culture, certains individus prennent de plein fouet des insultes que la société du spectacle appellera culture-et-divertissement. On respire cette ambiance tous les jours, et, si on n’en supporte plus la violence, on finit indéniablement par manquer d’oxygène.

(1) Libération du 02.02.2006

 

........"Certes, les médias sont infiniment mieux équipés pour la caricature et le sensationnel que pour les lents processus culturels et sociaux, mais la raison profonde de ces idées fausses est la dynamique impériale, et surtout sa tendance à la séparation, à l’essentialisation, à la domination et à la réaction."
Edward W. Said, Culture et Impérialisme, p.79